tessellate / saw

le bloc-notes dans la main droite pendant que l'index gauche coche dans les airs, tout est sous contrôle. la liste est complète, rien n'a été oublié. le tote-bag au nom de l'épicerie de la ville,  sur le dos de sa chaise de bureau, attend d'être rempli. tout est plié, rangé et posé sur sa couette. elle vérifie une dernière fois, s'assure qu'elle n'aura besoin de rien d'autre. deux tenues de rechange plutôt qu'une, un pull et une brassière. elle est prête à ce qu'il fasse moins douze ou trente huit. on ne sait jamais. sawyer, elle aime être préparée et elle aime, par dessus tout, être celle qui a tout. le sac est fait avec soin, presque trop quand on sait qu'il s'agit simplement d'une soirée pyjama entre cheers. un dernier regard sur sa montre suffit à la presser. elle refuse de ne pas être la première arrivée. elle a une réputation à tenir et arriver en retard l'entacherait. elle enfile un gilet en laine au dessus de sa robe légère puis elle glisse son sac à l'épaule. le corps devant la fenêtre de sa chambre, elle perd quelques secondes à s'arrêter là. et si… et si elle essayait de passer par la porte ? pour une fois ? elle souffle, trop risqué. si l'un de ses parents la surprend à vouloir sortir à cette heure-là, elle se retrouvera enfermée à vie. alors elle finit toujours par s'y résoudre. même pas essayer de demander leur autorisation, faire le mur, ne pas leur dire, revenir le lendemain avant qu'ils se réveillent. vieille habitude qu'elle n'a fait que continuer depuis qu'elle est devenue fille unique. plus qu'elle à surveiller. encore plus maintenant que west a été retrouvé mort. ça angoisse qu'un reed ait perdu la vie mais que l'autre soit toujours là. ça soulève des questions auxquelles personne n'a de réponse. ses parents sont devenus paranos en plus d'être de base stricts, assez pour rajouter des règles dans sa vie qui était déjà bien trop visée à son goût. aucune culpabilité à descendre par la fenêtre. ça reste son seul moyen d'être presque normale. faire comme si elle n'était pas prisonnière des angoisses de ses parents. aujourd'hui, encore plus qu'hier. et une partie d'elle hait un peu plus west. en partant, il a juste pourri sa vie. et ça, elle n'aurait pas cru que c'était possible, encore moins, que lui aurait ce pouvoir. de son vivant, il se débrouillait très bien dans ce domaine. mais mort, il excelle. et elle n'a aucun moyen, absolument aucun, pour lui rendre la pareille. ça réveille cette colère qui la dépasse. celle qu'elle essaye d'enfouir au fin fond de son être, en espérant qu'un beau jour elle partira d'elle-même. elle s'entaille la paume en se rattrapant de justesse avant que ses baskets blanches touchent le sol. un temps d'arrêt s'impose pour s'assurer qu'aucune lumière, notamment celle de la chambre de ses parents, ne s'allume. rien. la voie est libre. c'est seulement quand elle est sur la route principale qu'elle fouille dans son sac pour sortir sa trousse de toilettes. elle en sort un pansement rose qu'elle vient coller sur sa paume. satisfaite d'avoir arrêté le saignement, sawyer accélère le pas. le regard vers l'horizon, la main -non blessée- accrochée aux anses de son sac, elle ignore volontairement ce qu'il se passe autour. définitivement pas rassurée d'être seule à cette heure-là dehors. pas le temps de comprendre qu'un vélo se pose à côté d'elle, le regard suit. james. les yeux virevoltent vers le ciel avant de se recaler sur l'horizon. sawyer ignore la remarque, s'adonne simplement à un nouveau regard vers elle. plus noir, plus brûlant. "ton invitation s'est perdue ?" elle n'aime pas le jugement dans sa voix, l'insinuation qu'aller n'importe où serait mieux que d'aller à cette soirée. parce-qu'elle, elle veut y aller. elle ne le fait pas par obligation. c'est forcément de la jalousie mal placée, celle qui gratte l'ego d'en avoir entendu parler mais ne pas être attendue. elle se fiche de son avis. peu importe que james valide ou non ses choix. elle n'est personne. à part l'ex de son frère, la fille qui a failli l'embrasser un jour ou encore celle qui se retrouve parfois dans ses rêves. per-son-ne. alors peut-être qu'elle va repartir, monter sur son vélo et aller là où elle avait prévu d'aller. parce-qu'elle ne l'accompagnera pas jusqu'à chez mia, elle en est convaincue. et c'est le pseudo-conseil qui fait arrêter la blonde. le regard que james pose sur elle la rend mal à l'aise. assez pour que sawyer referme son gilet avec sa main. changer ? l'impression de passer à côté d'une blague qu'elle ne comprend pas. le corps se tend, les sourcils se froncent, l'incompréhension arrive dans le regard quand elle lui tend sa bouteille. "mmh ?" meaning tu veux que j'en fasse quoi ? elle ne bouge pas. les yeux basculent de la bouteille à son visage. pas de réaction, rien. elle sait, sawyer que james carbure à la provocation. elle l'a vu avec west, ça le rendait dingue. mais les boutons qu'elle activait avec lui ne marcheront pas avec elle. et sans doute que sawyer se damnerait pour un baiser mais pas au point de céder son amour propre ou sa fierté. lui était assez con pour ça. elle préfère lui tenir tête, maintenir son regard dans le sien, ne pas flancher, ne pas montrer qu'elle est terrifiée de ce qu'elle pourrait faire si james lui demandait. elle se veut tough. mais son nom de famille dans sa bouche, ça fissure l'air glacial. ça déséquilibre ses pions, ça rend sa position un peu plus bancale. "ne m'appelle pas comme ça." la mâchoire est serrée, la langue se délie à peine. parce-qu'elle n'est pas reed, elle n'a jamais voulu être reed, parce-que ça impliquait qu'elle n'était que la moitié d'un duo dont elle n'a jamais voulu. et de toute façon ils n'existent plus en tant qu'unité. plus de west, plus de reed, plus que sawyer. "tu n'as pas le droit." c'est pas censé être un sujet tabou ? de ceux dont elles ne parlent pas ensemble ? celui qui est enfoui, qu'elles n'évoquent pas quand elles se retrouvent à deux. et ça la rend triste de continuer d'exister à travers son frère alors qu'il n'est même plus là. même pas foutue d'être indépendante alors qu'il lui laisse un chemin royal. c'est tordu. assez pour que sawyer attrape la bouteille. "qu'est-ce que ça peut te faire ?" jamais un regard pour elle quand il était là. et maintenant, elle s'intéresse à elle ? non. elle refuse. l'index fait le tour du bouchon de la bouteille. ses yeux se relèvent vers elle quand elle lui lance le défi d'être cool. et ça réveille l'instinct de compétition, le besoin de prouver qu'elle peut l'être si elle le décide, qu'elle sait faire absolument tout. notamment se convaincre qu'elle est libre. les yeux verts pétillent par la provocation, sawyer fait quelques pas en arrière, la bouteille toujours entre les doigts. à distance raisonnable, elle décide de faire mine de la lâcher pour la rattraper in extremis. "c'est cool d'arriver les mains vides en soirée ?" peste qui se la joue fausse ingénue, elle pose son index sur sa bouche pour faire mine de réfléchir. le pansement sur sa paume offre toute la crédibilité dont elle a besoin. puis elle finit par ouvrir la bouteille pour y boire une gorgée. "ne me sous-estime pas." l'angoisse de l'inconnu créé une boule au ventre. mais rien ne transparait, sawyer donne presque l'impression d'être dans son élément.