êtes-vous à l'abri d'un dérapage? (niko)

[ niko chichkine ]

why are my words so sharp
in the smoke of my cigarette ?

[ identité ] niko chichkine. c'est le nom qu'au collège les profs appelaient déjà sans espoir. absent, tu l'étais physiquement, mais avec l'âge t'as commencé à disparaître, à t'évaporer. tu te sens comme une coquille qui cache un vide impossible à combler.  [ surnom·s ] quand t'étais petit, c'était crevette. ta morphologie faisait marrer, toi tu comprenais pas, tu les trouvais bizarres. t'appeler, rigoler, gesticuler. ça a duré un temps, et puis tout le monde a arrêté. [ âge ] dix-huit ans. le temps est devenu long. limite, t'as l'impression d'avancer à reculons, tellement y a rien qui avance. quelqu'un a joué avec ton horloge, les jours se ressemblent, y a que la poussière qui s'accumule qui te ramènes à la réalité. [ vit à el reno depuis ] toujours. les chichkine ont débarqué il y a de ça déjà quelques générations. vous vivez toujours dans la même vieille baraque que le vent balaye mais jamais trop. au cimetière, le caveau familial fait peine à voir et tu veux pas t'imaginer là-dedans, coincé comme une sardine six pieds sous terre avec le reste des incompétents. [ grade ] senior year. l'année précédente a été rude, mais t'es quand même passé. te faire redoubler n'aurait de toute façon servit à rien. t'attends sagement la fin du calvaire, l'université c'est pas pour toi, tu veux juste travailler, gagner ton pain tranquille dans ton coin. [ type d'élève ] mauvais. avant, t'étais le rigolo. limite, ça te rendait populaire: du genre un peu con, qui arrive en retard, qui répond au prof. t'étais celui qui osait dire ce que les autres pensaient et se gardaient bien d'exprimer; toujours avec un sourire, un air condescendant qui poussait les adultes à bout. ça t'a valu des heures de colles et des allers-retours chez le proviseur. mais ta vie a pris un autre tournant, brusque et pas contrôlé. depuis tu fais peur, t'intimides, les gens t'évitent et les faire rire, ce n'est plus ton occupation préférée.[ rapport avec les parents ] typique, façon chichkine. papa est mort dans un accident. il était routier. son camion s'est crashé. dans l'escalier, il y a un cadre avec une photo de lui et maman. ils sont jeunes, amoureux, et heureux. insouciants. cette photo fait tâche dans l'ambiance morose de la maison. le cadre n'est pas tout à fait droit, comme si le poids de son absence l'avait menacé de tomber. à sa mort, tu t'es mis à aider maman. "c'est toi l'homme de la maison, maintenant" ; t'avais à peine dix ans. mais elle te l'a répété, le soir avant de te coucher, les joues humides de larmes d'avoir tant pleuré le départ de papa. maman le dos courbé, maman les cernes creusées. tu l'aidais chez vous, pour ranger le linge, t'occuper de tes deux soeurs, préparer à manger. et puis tu travaillais aussi, pour aider avec le loyer, les factures, la bouffe. tu ratais la plupart de tes cours, et tu travaillais au black. souvent sur des chantiers, parfois pour donner un coup de main à des voisins. c'était pas grand chose, mais ça aidait. depuis que t'es au centre, y a le couvre-feu, toutes ces règles et t'as jamais le temps, c'est compliqué. t'appelles ta mère tous les soirs, pourtant vous n'êtes pas bien loin. "tout va bien, t'en fais pas pour nous", c'est ce qu'elle te répète à présent, machinalement mais avec sincérité, comme une berceuse. [ type de logement ] terne. tu fixes le plafond de ta chambre, d'un blanc qui tourne au gris triste, et ta maison miséreuse te manque. elle avait un charme, surtout, elle avait une âme. ici, ta pièce a peu de luminosité, et puis surtout ce n'est pas ta pièce, c'est votre pièce, parce que t'y es pas tout seul. y a louis de l'autre côté, sur son lit bancal. y a même pas trois mètres qui vous séparent. sur son pan de mur, la pochette d'album de ty segall, melted. de ton côté, un synthé miniature traîne au bout du lit. t'as fait les yeux doux pour avoir l'autorisation de le prendre, et t'es pas censé en jouer après dix-neuf heures.[ vit avec ] back home, c'était maman, rina, liz et toi. t'avais ta place, t'avais un rôle. t'aimais le fait de servir à quelque chose. au centre, c'est pas la joie. t'as tendance à ignorer les éducateurs qui vous surveillent. tu t'es mis au sport, parce qu'il était hors de question qu'on te casse les couilles. ici, si tu sais pas te battre, tu finis très vite par apprendre. avec louis y a des jours avec et des jours sans. il t'a signé le corps d'au moins déjà quelques cicatrices, dont une près du poignet qu'il a tendance à effleurer discrètement, en cours d'histoire-géo, quand vous êtes assis l'un à côté de l'autre. [ délits ] tentative de défenestration. ça fait moche, sur un cv. bien sûr, c'est plus compliqué que ça. tu te souviens de rina s'effondrer dans tes bras, toi qui avait jamais vu ta soeur pleurer pour autre chose qu'un ongle cassé ou une araignée sur les murs de sa chambre. elle n'avait même pas versé une larme à l'enterrement de papa. pourtant ce jour-là, son poing crispé sur ta manche, des rivières salées parcouraient ses joues qui, petit à petit, se teintaient du noir de son mascara. elle s'exprimait mal, comme si chaque mot l'empêchait de respirer correctement. mais elle s'exprimait, elle te racontait tout, et sous ses pleurs les images ont commencé à se former. les mains moites qui se glissent entre ses jambes, les insultes susurrées contre sa peau, les ongles sales qui s'y sont enfoncés. tu vois les marques à ses poignets, les marques dans son dos, les marques sur ses jambes. et tu vrilles. tu vrilles complètement, tu retrouves ce type, tu rentres chez lui, tu le tabasses, tu le fais passer par l'encadrement de la fenêtre de sa chambre, tu le tiens par le col au dessus du vide et tu le lâches. tu l'as regardé droit dans les yeux avant de le laisser tomber, avec pour seul désir sa mort imminente. good or bad luck, t'en sais rien, mais il a survécu à la chute, si on peut dire. une jambe en vraiment sale état, quelques fractures, des côtes fêlées. et toi, choppé dans un excès de colère, chopé dans une folie meurtrière. lui qui voulait garder sa réputation, toi qui devait préserver celle de ta soeur, qui te suppliait que personne d'autre ne devait être au courant. explication officielle de la situation: petite bagarre entre lycéens qui a "accidentellement" mal tourné. pour ça, on t'a envoyé au centre, et depuis, t'as continué à frapper. [ tue le temps en ] la musique en guise de pansement. tu joues du piano. quand t'étais plus jeune, tu analysais des livrets entiers de partitions et les apprenait par coeur. t'as mis du temps avant de pouvoir te payer ton propre synthé, alors t'allais dans un magasin de jeux pour enfants, t'entraîner sur des faux-pianos aux sonorités biaisées, puis t'allais à la gare, mais que tard le soir, parce qu'avoir un public t'angoissait. t'es franchement plutôt doué, et tu le sais. t'aimerais jouer toute ta vie, mais c'est une pensée rangée dans une boîte au fond du placard, avec d'autres fantômes qu'on ose pas déranger. [ quel genre d'ami·e c'est ] loyal. t'es toujours là pour ceux que tu considères comme une partie rajoutée de ta famille. t'es prêt à tout. tu mets tes proches sur un piédestal, tu sais (re)motiver les troupes. t'aimes aider les gens, parce que t'as l'impression d'être bon qu'à ça. t'es le parfait second-role dans un film, charmant mais juste assez discret pour mettre en valeur le personnage principal. les plus proches auront le privilège de connaître ton sourire, ta frime et ta détente légendaires. [ a déjà trahi ou déçu ] tu penses avoir déçu maman. impulsif, tu t'es retrouvé au poste, et puis tu t'es retrouvé au centre. maintenant, elle est toute seule dans cette maison, et il y a le boulot, et il y a liz la plus jeune qui a besoin d'aide pour ses devoirs, et il y a rina qui fait semblant d'aller bien et qui évite les repas en famille le soir depuis que t'es plus là. mais rina dit que maman est au courant, qu'elle connaît tes raisons et que t'as agi comme son fils aurait dû. que t'as rien à regretter. [ sa vision de l'avenir ] quitter le centre. trouver un job. aider maman. t'as pas le temps d'avoir des rêves, t'as pas le temps de penser à l'ailleurs, aux opportunités, à tout ce que tu vas rater en dehors de el reno. t'es convaincu que tu finiras ta vie bien morne ici, abattu par les nuages qui te pèsent sur les épaules. [ groupe ] howard youth center.

sharp knives to cut your spite

mirroirs III, une barque sur l'océan, ravel
troisième leçon de ténèbres, jordi savall
rêverie l.68, claude debussy
air, delia derbyshire

son corps sur le brancard. ses gémissements qui couvrent presque l'hurlement des sirènes. il y a l'ambulance, la police, les parents affolés, les voisins qui se sont rapprochés. ce type éclopé, tordu, douloureux. tout le monde qui te fixe de loin mais qui détourne le regard quand ils croisent le tien. des menottes trop serrées aux poignets, des plaies ouvertes aux phalanges. la mâchoire serrée, t'es pris d'un fort intérêt pour le sol, la pelouse mal tondue, la terre humide et la trace au milieu du jardin qu'il a laissé après sa chute. t'arrives plus à réfléchir. trou noir, tu sais pas ce qu'il t'a pris, t'étais plus là. tout t'a semblé si facile. t'as mal partout et pourtant tu ne ressens rien. t'aimerais vomir la boule coincée dans ta gorge.

tes doigts pianotent sur le bord du bureau. tes mouvements sont si légers et contrôlés que tout se passe en silence, tes phalanges dansent de manière aérienne sur la mélodie que tu fredonnes intérieurement. il est tard. face à toi, la petite fenêtre de la chambre: celle qui ne sert à rien si ce n'est vous faire rêver d'être ailleurs. vous rappeler que vous êtes ici. les volets sont baissés, mais pas jusqu'en bas. une ouverture d'à peu près sept centimètres laisse passer dans la pièce des tâches de lumière jaune qui s'étalent contre le mur, s'étire contre le sol, se déforme contre les meubles. les lumières de la ville, des lampadaires, du monde de la nuit qui s'éveille enfin. louis dort d'un sommeil profond, assommé par le shit que vous avez fumez plus tôt en secret. tu finis par poser ta tête contre la surface plane, dure et glacée du bureau. puis tu fixes un point au loin, à travers la vitre mal nettoyée, à travers les silhouettes obscures des bâtiments, à travers le flou qui s'empare de ta vision quand petit à petit, tes paupières lourdes de deux nuits sans dormir finissent par se fermer.

 [ pseudo / prénom ] mimi.  [ type de personnage ] inventé.  [ pays ] france.  [ avatar à réserver ] ernest klimko.  [ crédits ] tumblr.