penny for your thoughts (niko)

[ penny for your thoughts ]

i've been missing you crazy @niko chichkine

cela fait déjà plusieurs minutes que vous êtes assis côte à côte sur ce sol trop dur lorsque tu poses la bière à demi vide que tu tenais entre tes mains et les enfoncent dans tes poches à la recherche d’un objet circulaire et d’un moyen de briser ce silence inconfortable. à ta droite, tu peux sans même te tourner vers lui visualiser niko froncer les sourcils tandis qu’après quelques secondes, tu sors enfin une pièce de ta poche. tadam ! comme lorsqu’on étés gamins : penny for your thoughts tu accompagnes ce plan d’un sourire, d’un léger coup d’épaule. penny for your thoughts c’est un jeu débile qu’un des clients du diner où bossent vos mères faisait souvent lorsque vous passiez vos après-midi là-bas : il sortait un penny de la poche de ses vieux jeans troués, disait quelque chose qui lui passait par la tête avant de le donner à l’un d’entre vous qui devait faire de même ensuite le jeu continuait jusqu’à ce que l’un de vous deux dise quelque chose qui le faisait rire ou bien réfléchir, alors la pièce était à lui. tu te rappelles que niko gagnait pratiquement systématiquement et tu te rappelles comment perdre face à ton cadet de deux ans pouvait te faire bouillir ; dans le fond tu as toujours su que de vous deux, niko était le plus malin (même papa le dit souvent).
tu fais rouler la pièce entre tes doigts en fixant les gamins qui jouent au basket de l’autre côté de la route. hum… un instant tu hésites à livrer la pensée qui te pèse le plus à niko, à lui dire combien il te manque et combien c’est dur pour toi de le savoir de l’autre côté de ces murs trop hauts chaque soir. mais tu te retiens : c’est égoïste de penser à cela et c’est égoïste aussi d’être celui qui ramène ce sujet sur le tapis alors que tu as la possibilité de saluer sa mère tous les jours tandis que lui est contraint de vivre à l’autre bout de la ville avec ces gars auxquels il ne ressemble pas. t’aimerais lui en parler pourtant, savoir comment il le vit, comment il va surtout, t’espères que la pièce te le permettra… en attendant tu ne veux pas l’embarrasser alors tu finis par dire : je pense qu’un jour mon petit frère entrera en nba, qu’il mettra el reno sur la carte et qu’on érigera une statue à son effigie, là-haut, près du point d’eau ! ta voix est pleine d’une ironie qui prend tout son sens lorsque, quelques instants à peine après que tu aies finis te parler, ton cadet trébuche sur son propre lacet et embarque dans sa chute un de ses camarades qui était sur le point de marquer. tu ne peux t’empêcher de rire devant ce spectacle et prends une autre gorgée de la bière que tu as posée à côté de toi.

"tadam ! comme lorsqu’on étés gamins : penny for your thoughts"
sully arrive encore, sans trop de peine, à t'arracher un sourire. il traîne une demi-seconde sur ton visage avant de disparaître dans l'air humide d'el reno. un coup d'épaule et beaucoup de souvenirs qui remontent à la surface. entre vous, tout a changé, et pourtant rien n'est différent. t'es aussi heureux de passer du temps avec lui aujourd'hui que tu l'étais, assis sur les banquettes en vieux cuir du diner de votre quartier, quand vous étiez gamins. traîner avec lui, c'est facile et confortable, ça fait du bien, comme une balade à la mer. seulement là, vous êtes sur le bitume.

la pièce fait son bout de chemin entre les doigts de ton meilleur pote, qui a l'air de réfléchir. quand il annonce, en demie-teinte, l'espoir que son frère devienne joueur professionnel et grande star, tu t'empêches pas de ricaner et pourtant, tu sais qu'il a réfléchit trop longtemps pour que ce soit ses premières pensées. vous admirez le spectacle ensemble: le jeune dunbar, ses deux pieds gauches et le joli tir à trois points qui échappe à son équipe. ton téléphone connecté à une minuscule enceinte bon marché qui crachote un son grésillant, tu lances "gun", de gil scott-heron, une musique qui a toujours réussi à te changer les idées. ce moment là, tu veux pas le passer à broyer du noir. tu veux faire des efforts pour lui, tu veux te retrouver. depuis que t'es au centre, t'as moins le temps de voir sully. vous vous croisez parfois, quand tu pars du lycée et qu'il s'y rend pour ses cours du soir. mais vos échanges sont courts, et ta coque protectrice met du temps à se fissurer.

ta main gauche accompagne le joint allumé que tu prévoies de bientôt tourner, tes épaules dandinent sous le rythme énergique de la musique (même de mauvaise qualité sonore) et ta main droite s'étire pour attraper la pièce. penny for your thoughts, tu penses. que dire qui ne soit pas trop gloomy? comment éviter un malaise? comme d'habitude, tu te prends la tête. le froid du métal au bout des doigts, tu lâches, dans un souffle sincère. "je pense que la bouffe au self du centre est plus mauvaise que les céréales périmées que maman n'a pas voulu jeter..." tu marques une pause, tire une taffe, et dans un croisement, tu tends le joint et rapproche un peu plus la pièce de toi ; comme si elle renfermait un pouvoir qui pouvait t'aider. "j'pense que le centre lui-même est complètement périmé, franchement"

et lorsque le rire de niko se joint au tien, tu as presque l’impression que ton cœur manque un battement ; du coin de l’œil, tu peux voir comment ce ricanement déforme son visage. il y a ses yeux qui se plissent légèrement puis ses lèvres qui s’écartent en un rictus large que tu ne connais que trop bien et alors tu retrouves cette expression qui est toujours omniprésente dans les souvenirs que vous partagez : niko et toi sur les bancs du diner à se marrer pour rien, niko et toi en 7th grade occupés à remplir une boîte aux lettres de frelons, niko et toi devant chez vous tous les soirs après les cours à se moquer de vos cadettes sans véritable raison. niko et toi… un autre pincement. tu te rappelles comme vous étiez toujours ensemble, avant. machinalement, tu continues de faire passer la pièce cuivrée entre tes doigts, oubliant presque le principe du jeu que tu viens d’entamer.
machinalement, tu attrapes la cannette posée à tes pieds qui commence à tiédir ; en bois une gorgée pour ôter de ta bouche ce goût étrange, mélange bitter-sweet qui a contaminé tous vos souvenirs depuis qu’il est parti là-haut : la douceur de votre enfance vécue côte à côte se mêle à l’aigreur du changement. penser que le houblon d’une bière bas de gamme parviendra à le chasser est délusoire… tu soupires légèrement, reposes la canette et te tournes vers niko que tu peux sentir s’agiter à côté de toi. en le voyant se balancer sur une de ses chansons favorites, tu ne peux t’empêcher de sourire à nouveau. pour une fois, tu ne te sens même pas coupable de le voir si serein, si présent dans le moment. tu ne penses pas aux autres, à sa mère, ses sœurs, à la chance que tu as d’être celui avec qui il partage cet instant, à la jalousie inconsciente qu’il pourrait leur procurer à elles… faut dire que c’est rare de le voir comme ça niko… et tu sais tout ce que sa mère donnerait pour être à ta place.
sa main se présente à la tienne, tu fronces les sourcils avant de comprendre que c’est la pièce chauffée par tes doigts qui l’intéresse. tu la déposes dans sa paume et te laisse aller au rythme de la musique qui crachote comme lui auparavant.
tu ne peux t’empêcher de pouffer lorsque niko prend la parole. une histoire de céréales que tu as trop entendue et le besoin d’ignorer le mot maudit « le centre » te pousse à tendre la main rapidement, pas la peine de s’attarder là-dessus, tu veux récupérer la pièce et le faire pouffer à son tour ! mais ce n’est pas le métal qui rencontre les doigts que tu tends… machinalement, tu prends le joint, le porte à tes lèvres et tire une taffe. niko reprend la parole et tu réalises qu’avec la pièce, tu sembles lui avoir livré ton trouble. à nouveau statique, les yeux fixés vers les gamins qui jouent, tu serres les dents.
tu sais que c’est à toi de parler, qu’il faut que tu rebondisses sur ce qu’il vient de dire mais longtemps ta mâchoire reste serrée mi-crispée mi-tétanisée. je suis désolé… tu finis par articuler. c’est nul. il faut trouver mieux et tu le sais.. en plus je parie qu’il n’y a même pas de jouet au fond de ton assiette…. tu te mords la lèvre. quel con… tu sais que si tu veux quoi que ça soit, on peut s’arranger hein ?.
t’as envie de lui dire bien plus que ça à niko, de lui offrir plus qu’un support matériel mais les mots fanent sur ton palais…alors tu te contentes de lui donner un autre coup d’épaule et de composer pour lui un rictus mi-inquiet mi-compatissant que tu espères plus inspiré que toi.