Requin-tigre | ft Charlie

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, tu n’es pas fan des vacances d’été. Toi, c’est au lycée que tu t’épanouies. L’équipe de foot, les potes, la visibilité et le club de boxe, c’est pour ça que tu vis. Et à la maison, t’es jamais vraiment toi, pas tout à fait. T’es pas bien sûre d’être la vraie toi au lycée non-plus, mais tu peux te libérer, arrêter de te censurer, arrêter d’être l’enfant parfait qu’ils veulent, la sœur soleil que tu ne seras jamais. T’essaies de sortir, de voir soren, les filles, n’importe qui pour ne pas passer tes journées avec Nonna. Tu l’aimes, bien sûre, mais parfois, parfois elle t’étouffe, parfois, l’fait qu’elle te dise quoi dire et quoi aimer, ça t’énerve. Tu te dis qu’t’aimais vivre ta vie sans elle dans tes pates, mais l’instant d’après, tu regrettes, parce que sans Nonna, tu sais qu’toute la famille aurait sombré, qu’tu aurais sombré, toi, quand Sola est partie. Tu cours tous les soirs, la nuit tombée. Maman n’aime pas ça, elle a peur qu’il t’arrive quelque chose -ce qui est logique, après tout- mais tu as réussi à la convaincre qu’il n’y avait que comme ça qu’tu pouvais dormir, la nuit.
Tu sais pas bien pourquoi, mais parfois, parfois tu te réveilles avec l’envie de tout casser, de t’exploser la machoire et puis chacun des vases de la maison. Y’a des matins où le silence est insupportable. Et y’a qu’en tapant dans un sac de sable que tu parviens à te calmer. Mais t’as pas accès à la salle du lycée, forcément. Et t’en reviens encore et toujours à la même chose. Putain, Nana, t’aimes pas l’été.

Y’a Jim qui a installé un sac, dans le garage. Pour Charlie, qu’il a dit, mais tu peux aussi l’utiliser, qu’il t’a dit, et t’as souri, timide, en le remerciant, parce qu’y’a jamais un mot plus haut que l’autre, à la maison. Parce qu’il t’a surement jamais vu même rire, le pauvre Jim. Pas qu’tu l’aimes pas. C’est juste que…c’est comme ça. Quand t’es à la maison y’a comme une entité qui s’empare de toi, et tu sais plus quoi faire de ton propre corps.

Mais c’matin, tu t’es réveillée la rage au ventre alors t’as enfilé ta tenue de sport et t’es descendue dans le garage. Tout l’monde dort encore et toi, tes air pods dans les oreilles, ta playlist de tarée à fond, tu tapes, tapes, tapes jusqu’à en avoir mal aux phalanges.

détruite, charlie, d'être rentrée dix minutes plus tôt d'une soirée dont elle se remettra dans trois jours -peut-être quatre- après avoir vendue une soirée pyjama entre copines. exit le pyjama, sa tête n'a pas touché un oreiller de la nuit, et si elle n'a pas tourné à la limonade, elle taira où et avec qui elle a passé la nuit, à se croire assez âgée pour ce genre de nuit blanche. elle espérait, sur la pointe des pieds, esquiver tout le monde et s'enterrer dans son lit pour à la fois, oublier l'alcool et rattraper son sommeil mais plantée dans l'entrée elle tend l'oreille vers le bruit -unique- qui émane du garage. pas besoin d'un dessin pour conclure qu'il s'agit de nana qui se défoule contre son sac -partager c'est clairement pas intégré chez charlie. fuck off elle hésite, ignorer, jouer l'associale égoïste ou s'inviter et aller donner son avis -qu'on ne lui a pas demandé. les tennis balancées sans le moindre soin elle tranche, gagne la salle de bain pour se trouver une aspirine qu'elle lâche dans un verre de jus de fruit pour finalement rejoindre le garage. elle pourrait jurer que ça tangue encore, que tout ce qui a été bu n'a pas encore été épongé. elle fixe nana qui lui tourne le dos, la regarde enchaîner les coups sans rien dire. ça a pas été facile au départ. pas tant de la faute de nana mais plutôt que charlie étant charlie, la nouveauté est forcément détestée, les crocs montrés et la colère gratuite et généreuse. elle a détesté le changement. elle a détesté devoir partager. détesté cette maison, les habitants, la nouvelle femme, la nouvelle soeur, pire, la nonna qui n'a besoin que de deux mots pour la faire écumer de rage. puis au final il y a eu quelque chose de rassurant, dans le fait d'avoir nana dans la chambre à côté. ce genre de silence qui tait à quel point c'est compliqué de respirer à seize ans mais qui se comprend d'un regard.
elle contourne le sac, nana, et toute sa rage pour s'asseoir sur la caisse à outils de son père en sirotant son verre rendu amer par l'aspirine. "tu vas juste te faire mal. jouer la brute te va mal au teint." elle étouffe un rire contre le rebord du verre, s'avachit comme elle peut. putain elle voulait juste dormir à la base. "qu'est-ce que tu fais déjà debout, dans le garage ? qu'est-ce qui va pas ?"