always, i'll care (may)

le silence règne dans la demeure bloom, comme à l’habitude, depuis qu’elle a été privée des vies qui l’animaient. elle n’est plus que l’ombre d’elle-même.
c’est, sans doute, pour cela que plus personne n’a envie de rentrer. maman se tue à la tâche, essayant de joindre les deux bouts, tout en essayant d’oublier sa propre peine. la maison est pleine de souvenirs, à la fois trop lointains et trop près, pour que ce soit supportable.
sol ne leur en veut pas de vouloir fuir l’atmosphère pesante autour d’eux, mais il doit admettre qu’il se sent seul.
avant, may et sorrel, ils étaient tout et maintenant, ni l’un ni l’autre ne sont tout à fait entiers. sorrel voudrait l’atteindre, lui prendre la main, mais elle semble, chaque jour, être de plus en plus loin. comme dad. et au fond, il a peur qu’elle soit partie avec lui.
sorrel continue d’essayer, malgré tout, de la ramener à lui ; à la vie. ce soir encore, il a préparé des lasagnes végétariennes, suffisamment pour trois ; maman aura peut-être faim en rentrant. machinalement, il envoie un message à may et s’assoit à table, les doigts tapant mécaniquement sur la table dans une cacophonie douloureuse, dans l’attente d’une réponse.
rien ne vient, et peut-être qu’il ne devrait pas être surpris.
sorrel soupire en regardant le plat de lasagnes devant lui et passe sa main dans ses cheveux avant d’envoyer un autre message.
elle va arriver d’une minute à l’autre. probablement.
tout n’est pas perdu ; ils peuvent encore se retrouver. sorrel ne la laissera pas partir, pas elle. pas may.
il cesserait tout simplement d’exister, sinon.
un autre message, juste pour être sûr.
les minutes passent et le silence se fait lourd, presque engouffrant. l’air se fait rare.
sorrel se lève, cherchant quelque chose à faire, à s’occuper. il place les lasagnes refroidies dans le micro-ondes. ce n’est pas grave, il n’y a qu’à réchauffer.
ce n’est pas grave, c’est pas encore fichu.
il l’appelle une fois. deux fois. avant d’envoyer un autre message dans la foulée, mais elle va pas tarder. c’est sûr.
il tente d’ignorer l’angoisse naissante dans son ventre, ses mains légèrement tremblantes et les scénarios idiots qui naissent dans son esprit.
elle n’est pas partie.
tout va bien.
elle sera là d’une minute à l’autre.
un dernier message. il veut pas être lourd.
il veut juste être rassurer.
l’attente le tue. lentement. il a même pas pensé à allumer la lumière alors que le jour s’est tût. il fait noir et il n’y voit rien.
ce n’est qu’une fois qu’il est au début de la crise de nerfs, la tête entre les mains, assis sur le canapé, les larmes aux yeux, qu’il entend la porte d’entrée s’ouvrir.
comme pour le sortir de l’obscurité.
"enfin! t'es là"  
avant de se ruer sur elle ; une multitude d'émotions se bousculent.
"tu pouvais pas envoyer un message ? qu'est-ce que tu faisais ?"

@marigold bloom

les faibles lumières d'la rue éclairent ton chemin. la rue qui mène at home semble plus biscornue que jamais et faut dire que tu vois un peu flou depuis quelques minutes. en remontant la plage dans l'noir, t'as tangué. comme un de ces bateaux chevauchent les vagues en pleine tempête et les monts de sable, tu les as explosés. tu t'es explosée sur eux et sur le bitume cabossé de la route devenue dure. genoux contre le gris craquelé, tu t'es échouée. le short court que t'as enfilé plus tôt n'aurait pas pu protéger tes genoux du sol. quelque part, sur ta peau pâle, un filet de sang séché dessine une cicatrice nouvelle. mais tu ne sens rien. rien qu'un flottement de tout ton corps et ça te va bien. les paupières à demi closes sur un monde que tu ne vois pas vraiment, les pensées vont et viennent dans ton cerveau. il est à peine tard - même si la nuit, la nuit semble très très noire ce soir - et tu rentres en titubant. bourrée des choses que t'as bues et fumées beaucoup et fort. sur ta langue, un poids mort alors que tu traverses la route l'nez en l'air. tu connais la route par coeur. seize ans à la faire. jour et nuit. été et hiver. heureuse et en berne. sobre et ivre. tu l'as parcourue dans tous les sens possibles et imaginables. jusqu'à la maison de moins en moins blanche. avant d'rentrée, tu fermes les yeux. un pied dans l'allée, l'autre déjà dans ton lit. pour y dormir au moins quelques heures. quelques années. quelques infinis. puis t'avances, l'pas incertain. en passant la porte, tu t'dis que t'aurais dû boire d'l'eau entre les verres. comme toujours. et comme toujours tu ne l'as pas fait. cuisine. l'eau est dans la cuisine alors t'avances. le boucan te suit et dans l'salon, une ombre t'agresse. t'as même pas l'temps d'avoir peur que la voix de sorrel résonne dans tes oreilles. et c'est bizarre. il est comme dans à l'intérieur de toi et tellement loin. dans les vagues de la mer. sous l'eau et ça fait des blop blop. tu ris un peu. sol sans soleil. parce qu'il fait nuit et pourquoi il n'a pas allumé la lumière ? d'une main fébrile, tu tapotes le mur. à la recherche de l'interrupteur. tic tac et la lumière fut. bonsoir à toi aussi que tu dis en enlevant tes pompes d'un coup d'pied. ou bonjour ? tu sais pas quelle heure il est. mais tu souris.

elle rit, may rit et c’est ce même rire qui vient transpercer l’atmosphère, lui envoyant des décharges électriques dans l’échine.
d’un seul coup, sorrel revient à une réalité oubliée. il prend conscience de son environnement ; de l’obscurité, de may et surtout, du fait que sa soeur empeste l’alcool. il retire son étreinte, les sourcils froncés et la lumière, que may vient juste de rallumer, le pousse à reculer d’un autre pas, les yeux plissés, momentanément aveuglé.
"t’es pas drôle, may." il répond à ses divagations alcoolisés tout en roulant les yeux d’un air agacé. il a attendu, longtemps, pour finalement la retrouver ainsi ; à moitié éveillée, complètement fantomatique. l’instant qu’il prend pour la dévisager lui fait rendre compte que, face à lui, se tient une ado complètement débraillé, les cheveux emmêlés et les yeux explosés. elle ne se ressemble plus, elle était pas comme ça avant, mais est-ce que sol se souvient d’elle avant ? est-ce que, s’il la croisait comme il y a un an, il la reconnaîtrait ? trop de choses ont changés ; trop de choses se sont perdues. eux, au milieu.
"je - je sais même pas quoi dire, t’es complètement défoncée." et il aimerait hurler, la secouer, voire même pleurer ; il aimerait lui faire réaliser tout le mal que ça lui fait de voir tout le mal qu’elle se fait. parce qu’on peut boire pour s’amuser, parce qu’on peut fumer pour s’marrer ; tout ça, il peut l’accepter, mais may, elle fume pour s’détruire.
et elle s’en fout, probablement. il n’y a plus rien qui l’a retient ; pas même une étincelle de vie brille dans le cadavre ambulant qu’elle aspire à devenir. où t’es partie, may ? elle a le regard mort. sorrel se rend compte que ses mains tremblent, encore, et ferme les poings pour le cacher.
"je t’ai demandé : où t’étais ?" il se sent prendre la rôle d’une figure parentale qu’il préférait laisser au premier venu. il a pas envie, sol, d’être celui qui contrôle ; l’air réprobateur, les propos moralisateurs, mais doit-il ne rien faire ? attendre que maman rentre quand il sait très bien que ce ne sera pas le cas ou prier pour que papa leur envoie un signe de l’au-delà ? il soupire tout en se passant la main dans les cheveux (encore) et son regard s’accroche à un point rouge ; du sang sur le genou de may.
"t’es blessée ?" la panique se glisse dans sa voix. c’est probablement rien, mais c’est quand même là.
"j’vais chercher du désinfectant et des pansements, va t’asseoir sur le canapé." le ton ferme, alors qu’il essaie de l’y pousser gentiment. “tu veux autre chose ? quand j’reviens, va falloir qu’on discute.” il prend la direction de la salle de bain, sans vraiment attendre de réponse.
il ne sait même pas si ça servira à grand chose, dans l'état où elle est. même sobre, il n’est pas sûr qu’elle serait encline à l’écouter et là, elle est si loin qu’sol n’est pas certain de pouvoir atteindre sa galaxie.

@marigold bloom