milkshake (leodie)

les joues rosies par le trajet à vélo et la gorge inexplicablement nouée, tu parcours les derniers mètres qui te séparent du diner où tu es censée retrouver oscar. depuis que le temps s’est rafraichi, maman te reproche de ne plus sortir suffisamment, de passer trop de temps assise au coin de la cheminée et pas assez ici, à fouler les pavés usés d’el reno ; alors lorsque tu as reçu ce message d’oscar te proposant de travailler sur un de ses projets, tu as sauté sur l’occasion. à en croire le sourire de maman lorsque tu enfilais ton écharpe tout à l’heure, elle est sûrement aussi ravie que toi…
tu pousses la lourde porte du diner quasi-vide, repère rapidement oscar assis à sa place ; il te voit aussi. hello leo ! en t’approchant de lui, tu souris : avoir une place attitrée dans un restaurant, c’est du oscar tout craché. c’est ce genre de détails qui vous séparent tous les deux, qui font de lui un personnage principal alors que toi, tu as conscience de n’être tout au plus qu’un extra dans une série qui se focaliserait sur les paramondes. même la manière dont il te salue transpire une forme d’assurance que tu n’oses pas même convoiter, d’un geste de la main et d’un sourire tu lui réponds timidement en arrivant à sa hauteur. alors que déjà il a reporté son attention sur son précieux carnet, tu te laisses glisser sur la banquette colorée, réalisant que c’est bien une forme de stress qui semble provoquer ce mutisme qui t’as emparé depuis ton entrée dans le bâtiment. tu sais qu’oscar n’est pas un fan des small talks et que bientôt il te demandera un avis sur son script, que tu devras faire de ton mieux pour te hisser à sa hauteur et ne pas le décevoir. tu es bien trop heureuse qu’il te propose de l’aider pour cela -surtout que tu sais pertinemment qu’il n’en a pas besoin pour écrire de bons scénarios.
c’est la présence de la serveuse et de son tablier rayé dans ton champ périphérique qui te ramènes à toi et tu manques alors de sursauter. oh ! hum… la même chose s’il vous plaît ? il te semble qu’involontairement, tu as formulé une question plutôt qu’une réponse mais la serveuse te sourit et s’éloigne alors pour éviter de devenir plus rouge que tu ne l’es déjà, tu changes de sujet : alors ce script ? tu l’as commencé hier c’est ça ? tu veux me faire lire quelques pages ou tu préfères me le pitcher à l’oral ? ton regard passe de son visage à ce fameux carnet dont il ne semble jamais se séparer et dont adèle ne cesse de se moquer. t’aimerais assez ça toi, avoir un objet auquel tout le monde t’associerait, il y a bien ce vieux vélo rouillé que tu as hérité de grand-père, mais loin de l’élégance et le prestige que son totem octroi à oscar, il ne te donne que de gros bleus aux chevilles et quelques douleurs dans le bassin…

les mots d’oscar sont loin de t’étonner, avant même qu’il ne le précise tu remarques de légères cernes sous ses yeux. tu te dis qu’elles font partie du personnage, qu’avec ces marques violacées, sa peau pâle et ses cheveux noir corbeau en bataille, il embrasse le rôle de l’artiste inspiré ; qu’il détonne aussi avec les banquettes colorées du diner - comme avec le reste d’el reno d’ailleurs ! il a du charme oscar. avant, tu ne l’avais pas remarqué : c’est grand-mère qui te l’a dit en regardant votre dernier projet et depuis, chaque fois que tu le regardes, cette phrase raisonne dans ta tête. c’est vrai qu’il a du charme oscar. il ressemble à un personnage d’anderson oscar, un gamin d’une ville pourrie qui va accomplir de grandes choses ; toi, tu n’auras sûrement pas le même destin mais tu es ravie d’assister à l’origine de son histoire. tu t’imagines dans quelques années à marcher à côté de ton vélo rouillé et à t’arrêter devant le cinéma du bout de la rue pour lire son nom écrit en capitales. tôt ou tard ça arrivera, tu en es tout aussi persuadée que lui.
alors qu’il commence à te faire part de sa nouvelle idée, tu vois son visage s’illuminer. d’un coup, ses yeux se mettent à briller plus fort et entre chaque mot, tu peux voir un sourire qui tente de se poser sur ses lèvres en mouvement ; tu te laisses bercer par le son de sa voix sans l’interrompre. comme d’habitude, son idée t’emballe, elle plaira aux autres aussi, tu le sais. lorsque son corps s’anime, qu’il pose son carnet ouvert face à toi, tu sursautes presque, arrachée de ce discours inspiré. tes yeux quittent son visage pour se concentrer sur ses croquis. dans les traits tremblant, tu lis la précipitation, la passion que tu retrouves dans sa voix. tu le sais, oscar dessine comme il parle lorsqu’il s’agit d’un projet qui lui tient à cœur : vite. malgré la précipitation, tu t’imagines assez facilement les plans qu’il a essayé de représenter, tu hoches la tête, penses déjà aux façons dont vous pourriez vous organiser.
intonation montante, tu manques de recracher une gorgée du milkshake que la serveuse vient de t’apporter et que tu as immédiatement porté à ta bouche. rapidement tu poses le verre sur la table et tu essuies la bouche. c’est à ton tour de parler, de faire de ton mieux pour ne pas le décevoir. tu réfléchis un instant puis : j’aime beaucoup ton idée ! la sorcière (avec tes mains, tu mets se dernier mot entre guillemets) je la verrais plutôt comme une âme en peine, un fantôme tourmenté ? peut-être que le héros pourrait la voir comme une force maléfique avant de se rendre compte à la fin du film que s’est simplement l’ancienne occupante de la ferme qui est morte alors que son fils, du même âge que le personnage, était ailleurs. elle serait troublée et voudrait simplement le ramener auprès d’elle ? déjà oscar ne te regardes plus, il a ses yeux plongés dans ses croquis, le crayon à la main. un instant, tu te demandes même s’il a prêté attention à ton idée. alors tu ajoutes timidement enfin, je dis ça comme ça, c’est une idée dans le vent…